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la dualité: bonheur/malheur
« Lorsque le malheur touche l’homme il est plein d’impatience;et lorsque le bonheur l’atteint, il devient insolent.
bonheur naît du malheur, le malheur est caché au sein du bonheur
On n'est jamais si malheureux qu'on croit ni si heureux qu'on avait espéré.
Le vrai bonheur coûte peu; s'il est cher, il n'est pas d'une bonne espèce.
QUEL SAVOIR-FAIRE POUR ENTRETENIR UN PATRIMOINE ?
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ArchiTous :: DOSSIER :: PATRIMOINE
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QUEL SAVOIR-FAIRE POUR ENTRETENIR UN PATRIMOINE ?
QUEL SAVOIR-FAIRE POUR ENTRETENIR UN PATRIMOINE ?
Gilles NOURISSIER*, France
Alors que l’intervention sur le patrimoine bâti ordinaire est une
discipline du concret, la matérialité de cette intervention – sa
description, sa commande à des hommes de l’art – procède d’une
clarification de la composante immatérielle de ce qui caractérise
l’objet : un milieu avec ses factures, variantes, saveurs locales.
L’espace d’un patrimoine, support matériel à des
pratiques immatérielles
Vivant au sud de l’Europe, mobilisé par la puissante
vérité de l’habitat ordinaire, j’ai travaillé à comprendre ce
qui fonde notre réalité locale, ce qui la caractérise en
propre, et ce qui la renvoie à un plus vaste ensemble : la
Méditerranée. Avec cette idée que c’est ce qui la distingue
qui la définit le mieux, et qu’en tenant cette définition, on
pourra efficacement respecter (maintenir, entretenir,
réhabiliter, transmettre) ce patrimoine. On pourrait
penser que, du fait d’une dimension utilitaire, l’habitat ne
ressortirait qu’au monde matériel ; il n’en est rien, une
part de mystère ou de miracle de réussite lui est attachée,
autrement dit une part d’insaisissable. Et c’est bien l’écart
entre l’objectif et le réel qui nous intéresse ici, entre ce que
l’on peut dire de l’ouvrage (ou de l’œuvre) et ce que l’on
peut en percevoir. C’est-à-dire réussir à capturer ce que
cet ouvrage, cette œuvre, leur milieu nous font savoir.
Par le mot Méditerranée nous désignons moins une mer
que l’espace composé par les territoires qu’elle baigne.
L’intérêt et la passion qu’éveille la région ont porté son
nom au rang de concept. Quand on parle de
Méditerranée, c’est devenu un réflexe de convoquer – par
ce seul mot clé – l’ensemble des qualités d’un espace et
non plus l’espace lui-même. Qualités qui définissent une
idée, un style, un univers : vaste assortiment, nourri par
nos propres perceptions de ce bassin méditerranéen. La
Méditerranée est un espace complexe, mythique,
insaisissable si on le dissocie, et c’est une réalité constituée
de matérialité, mais aussi d’une immatérialité porteuse de
sens. Son architecture traditionnelle est enracinée dans ce
cadre. Ainsi, si l’on ne veut pas faire l’erreur de la dé-
contextualiser, en regardant le patrimoine bâti comme
une série d’objets inanimés, aculturels, voire atemporels,
en pierre, brique ou bois, il faut associer le poids de
l’immatériel avec celui du physique. Et ce d’autant plus
que l’on parle d’un patrimoine “sans papiers”, méconnu
et à peine reconnu, qui n’a bénéficié que de petits moyens
et depuis trop peu de temps. Évoquer l’architecture
méditerranéenne locale sans la resituer dans son bassin
d’influence nous paraîtrait impertinent, le lien de
civilisation nous semblant plus fondateur et intéressant
que la stricte distinction de nos spécificités microlocales.
Que se passe-t-il donc dans notre voisinage culturel, dans
l’espace méditerranéen évident ? La présence de l’olivier
en dirait les frontières climatique et physique, “saturée de
méditerranéité”.
On vient de dire olivier, climat physique, qui sont des
éléments matériels de traçage du périmètre ; mais on a dit
aussi voisinage culturel pour signifier le monde des
pratiques, modes de vie, compétences… qui bien que
tangibles ressortissent au domaine spirituel, et il nous faut
convoquer les deux modes pour tenter de répondre à cette
question : quelle est la teneur de cette civilisation, quels en
sont les descripteurs ? Continuons avec une référence au
sensible et aux sens. D’autres espèces auréolent d’un
parfum intense, plus immatériel, notre environnement :
thym, romarin, lavande, basilic, cumin, fenouil, menthe,
jasmin, rosier, figuier, oranger, abricotier, olivier en fleur,
ou l’arôme pénétrant des olives au pressoir ; elles
fabriquent une dimension particulière et réelle dans
l’espace méditerranéen et renforcent le plaisir d’y vivre.
D’autres formes d’exubérance vitale, marquées par un
dualisme omniprésent : terre et mer, soleil et ombre,
extérieur et intérieur, sécheresse et inondation. Telle
l’olive, douce comme le miel, amère comme le fiel.
Ces quelques traits réussissent à dire un morceau d’un
milieu. Il faudrait y ajouter autant d’ambivalences entre
matériel et immatériel pour évoquer des savoir vivre. Par
exemple, le patio, la cour ou le jardin, c’est désigner trois
expressions, avec leurs nuances formelles et locales, d’un
fait méditerranéen par excellence : la vie en plein air
autant que sous toit, l’architecture de terre, de pierre ou
de bois autant que de lumière, d’ombre ou de parfums. Le
dedans et le dehors. Sûrement aussi, le féminin et le
masculin, car si la maison est surtout l’espace de la
femme, la rue est surtout l’espace de l’homme. Une rue,
ordonnant le bâti et en même temps résultat de l’action
constructive, est toujours un grand espace de convivialité
et de relations autant que de circulation. Dans certaines
régions, elle devient une continuité plastique de la maison
et il est fréquent que cet espace rapproché accueille des
activités aussi bien artisanales ou commerciales que
strictement sociales. La maison, en Méditerranée, déverse
souvent sur l’extérieur.
On pourrait ajouter la description typologique de ces trois
modèles de maison. Tenons-nous en ici plutôt à l’esprit du
lieu que chaque formule génère, de façon à réévaluer
l’immatériel de ces modèles.
Le patio désignerait à la fois le centre et le cœur du
logement et de la vie familiale. Mot sans synonyme.
Échelle humaine devenue espace irremplaçable, généré
par le bâti que lui seul rend possible. Espace à habiter.
Puits de vie. Espace actif, recueilli et intime. Dedans et
dehors. Sol et ciel devenus lieu, proportion, architecture. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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Place – memory – meaning: preserving intangible values in monuments and sites
La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Ce patio peut se présenter de façon plus ou moins simple :
sans arcades au rez-de-chaussée, les murs et portiques
élémentaires délimitant alors cet espace central, ou avec
des arcades sur un, deux, trois ou quatre côtés. Lorsque
l’arcature est présente, la richesse des espaces augmente
avec la création d’une transition entre le dedans et le
patio. La qualité, la densité et l’exubérance vitales y sont
telles que la maison n’a à coup sûr plus besoin que d’une
entrée sur la façade. Tout est condensé et tourné sur ce
point central de la maison.
La cour est un espace plus ou moins généré par le bâti,
plus ou moins tracé par la clôture. Dans les deux cas, les
activités productives conditionnent l’échelle. Ainsi le
troupeau, les produits, modes de production ou engins
agricoles seront au moins aussi importants que l’échelle
humaine pour sa définition. Espace moins dense que le
patio, allégée par la présence animale, agricole et
productive, plus souvent limitée par des murs que par des
bâtiments, la cour est plutôt l’extérieur confiné.
Dans le jardin l’espace n’est plus confiné par le bâti. Jardin
et maison sont juxtaposés, s’additionnent. Tous deux
couplés constituant une autre variante pour créer et
habiter l’unité duale, intérieur/extérieur. La culture,
surtout les croyances religieuses détermineront un jardin
plus ou moins intime, réservé et à l’abri, ou perméable au
regard étranger. Accolé en général à une façade de la
maison, le jardin est assez grand, car il représente une
importante surface de culture domestique. Des plantes de
toutes sortes et en toutes saisons sont cultivées, sous une
grande variété d’arbres fruitiers où ne manquent presque
jamais les agrumes. Il est à la fois aussi un espace de
plaisir, les fleurs aux belles couleurs et aux délicats
parfums y étant toujours généreusement représentées.
Cette typologie, constituée d’un intérieur et d’un extérieur
soudés, contribue à façonner des paysages urbains
absolument particuliers, avec une importante densité de
verdure et un allègement notoire de la densité du bâti.
Voilà donc des descripteurs qui cherchent à dire des
manières de vivre et à éviter de geler une image par des
stéréotypes tels : la maison arabe, la maison rurale
européenne, la maison turque.
Sur chaque solution architecturale, on peut s’exercer à
repérer ce qui en elle est unique, exceptionnelle, et ce qui
en elle emprunte à un modèle et qui est donc
reproductible. Avec une première idée en matière de
savoir-faire des métiers : ce qui est matériel est
reproductible, ce qui est immatériel est insaisissable, au
moins avec les outils de l’apprentissage. En précisant tout
de suite :
– que le matériel appartient au monde de la technique,
l’immatériel à celui de la culture,
– que le premier est maîtrisable par la transmission des
savoir-faire, lorsque le second ne s’acquiert que par
frottement,
– que le matériel ne sait pas à lui seul reconstituer le fait
patrimonial, mais que l’immatériel ne peut, pour
exister, que s’incarner dans le tangible (bâti,
matériaux, métiers, corpus de traditions…).
Qu’il soit dégradé, obsolète ou remployé, dénaturé,
l’objet bâti parvenu jusqu’à nous (habitat, quartier) est
devenu autre chose qu’à son origine. Son âge et son
histoire lui ont donné un sens patrimonial, et le projet
contemporain est de les donner à voir.
Jusqu’ici, nous n’avons parlé que de l’espace, son style et
ses formes. L’immatériel c’est aussi le temps.
Le temps qui donne du sens. Une maison, un quartier
anciens, si leur usage contemporain demeure, sont des
objets courants de l’architecture et de l’urbanisme ; mais
ils sont aussi gisement de données historiques, possédant
par conséquent une dimension supérieure à l’usage, une
dimension extra-fonctionnelle. La dimension de l’histoire
– notamment celle de l’évolution du statut de l’objet dans
le temps – nous les transforme en un objet d’antiquité.
Ainsi, c’est le facteur temps qui apporte ici la dimension
immatérielle ; le même objet, cantonné à son usage
contemporain est matériel, mais, projeté dans l’histoire de
ses usages antérieurs, est augmenté d’une épaisseur,
d’une densité qui ne s’apprécient plus avec les mêmes
mesures. C’est la dimension de la mémoire, connue, mais
incommensurable.
Le temps qui donne de la valeur. En plus du sens, le temps
est un processus de constitution de l’intérêt et de la
beauté, il apporte de la valeur, il bonifie la chose. Ce qui
n’est pas systématique : la chose ordinaire peut rester
banale toute sa vie et ne jamais rien acquérir par son âge,
comme elle peut devenir témoin, échantillon destiné à
donner à voir, spécimen, prototype d’une expression de la
beauté. C’est souvent la rareté, la survivance combinée à
la conscience que cet objet ne serait plus produit selon le
même processus, qui l’investit d’un rôle d’incarnation.
Les musées des arts et traditions populaires sont pleins de
ces objets mobiliers. Dans le domaine de l’immobilier,
dans le vaste musée ouvert des villages et centres anciens
des villes, c’est le traitement de l’immeuble, porteur d’une
facture, d’une saveur, d’un tour de main – bref d’un geste
qui parle, qui est particulier et nous retient encore – qui
devient spécifique, qui dit une vérité et se voit accéder au
rang de “bien culturel”. Culturel mais volatile, car ancré à
l’objet, c’est-à-dire à la matière, et la matière est
dégradable, transformable, destructible : éminemment
instable.
Néanmoins, entretenir, conserver ou réhabiliter le parc
immobilier, tout comme sa mémoire, passe par l’action
matérielle sur le bâti par des hommes de métier.
Deux mots-clefs : local et ancestral. Les arts de bâtir
comprennent les matériaux, les techniques, les savoirfaire. C’est-à-dire à la fois la construction et la compétence
du constructeur. Nous sommes dans le champ de
l’habitat, du bâti domestique, construit avec des
matériaux locaux, extraits, produits et transformés le plus
souvent à proximité du site de construction. Nous
sommes aussi dans un monde d’architecture sans
architectes, où la quasi-totalité du parc est une
architecture d’homme de métiers, qui ne sont pas des
savants mais des constructeurs, des ajusteurs de modèle. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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Place – memory – meaning: preserving intangible values in monuments and sites
La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Dans une communauté pré-moderne, antérieurement à
l’introduction du train ou du camion, les matériaux
pondéreux de la construction ne circulent pas, sauf à des
coûts prohibitifs et donc hors champ de l’architecture
traditionnelle. Cette contrainte du déplacement minimum
a conduit les bâtisseurs à s’adapter aux matériaux
disponibles, dans un bassin limité par la portée
d’efficacité de la charrette tirée par un animal, quelle que
soit leur qualité et leurs performances. Il en résulte
l’équation suivante : un matériau imparfait, parfois subi,
parfois choisi, qui doit conduire malgré tout à construire
un bon ouvrage, oblige généralement le constructeur à
plus d’ingéniosité dans la technologie de mise en œuvre.
Un défaut est ainsi compensé par une valeur ajoutée.
Les techniques sont ancestrales et leur évolution est lente
tant que de nouveaux matériaux ou de nouvelles
influences n’interviennent pas, ou encore tant que la
communauté ne les a pas acceptés et assimilés. Elles sont
caractérisées par des systèmes simples de mise en œuvre
et la préoccupation constante de l’économie et de
l’efficacité. Les savoir-faire sont transmis par
l’apprentissage et la pratique. Le plus souvent, aucun écrit
ne les consigne, seule la permanence de leur usage assure
leur transmission naturelle entre les générations.
Un langage, une ambition, un vivier de techniques
qui voyagent
La construction imprime de façon indissociable son image
à l’habitat. Pour s’en convaincre, il suffirait d’imaginer cet
habitat exécuté avec d’autres matériaux, d’autres
techniques et d’autres tours de main de finition : le
résultat n’aurait rien à voir. Ce qui nous prouve que les
arts de bâtir ne sont pas neutres, qu’ils sont un des
déterminants de la substance même de l’architecture
traditionnelle, traditionnelle, qu’ils sont l’un des vecteurs
pour l’exprimer. Pourtant le choix de la solution s’inscrit
dans une convention locale de formes architecturales. Ce
qui positionne les arts de bâtir davantage comme un outil
au service du projet que comme un langage à part entière
qui déterminerait l’architecture. L’architecture
traditionnelle ne recherche pas l’innovation technique et
s’accommode des contraintes courantes des matériaux
locaux et bon marché. Ceci ne vaut pas pour l’architecture
monumentale qui – pour réussir à faire plus grand, plus
haut, plus large – recherche la performance technologique
comme un moyen de renouveler les formes en
s’affranchissant des contraintes et en parvenant à des
solutions exceptionnelles. L’habitat ordinaire réemploie
par la suite ces solutions à son échelle.
Si habitat populaire coïncide avec moyens modestes,
modicité ne signifie nullement indigence. En substitution
des matériaux trop chers pour qu’il les emploie, le
constructeur compense, imite, cherche et produit un
équivalent. Ainsi, lorsque la fourniture n’est pas à sa
portée, il invente, il cumule plus de valeur ajoutée pour
que son moellon ou sa brique perde de sa banale
matérialité et accède au rang d’un matériau plus noble,
mieux mis en scène. Pas d’argent pour du marbre ? Un
stuc poli le remplacera ; le savoir-faire du maçon trouvera
comment doser, dresser et faire briller cette pâte pour
qu’elle éclate et émerveille autant que ce marbre
inaccessible.
Il n’y a pas là uniquement de la main d’œuvre intelligente
ou de la performance, il y a la volonté d’avoir reconstitué
chez soi un morceau du palais. Cette dimension de la
représentation sociale est davantage courante en Europe,
qui, par le jeu des effets de composition et finition, a
conduit le maçon à inventer des façons de faire qu’il
n’aurait pas mises au point s’il avait disposé de moyens
plus confortables. Il arrive par exemple de rencontrer un
support très fruste (mur, cloison), fait des matériaux les
plus pauvres et montés sans soin particulier, recouvert en
finition d’un magnifique enduit parfaitement exécuté et
agrémenté d’un faux appareil régulier de pierre, gravé,
modelé ou peint. Ce type d’écart entre des moyens très
modestes et un résultat sophistiqué, élégant, nous
renseigne sur l’intention du constructeur qui utilise tous
les artifices à sa disposition pour faire mieux que son
budget, pour produire le maximum de dignité possible
malgré des moyens pauvres. L’intéressant ici, c’est
comment du strict fonctionnel, la construction se hisse à
l’échelon de l’architecture cultivée et savante, comment
l’homme de métier en est l’acteur unique avec le seul
moyen de ses arts de bâtir.
Ainsi, la trilogie matériaux + technique + savoir-faire,
produit bien davantage qu’un ouvrage ordinaire et peut
apporter une valeur immatérielle au travail de l’artisan.
Cette valeur est inscrite dans la chair du bâti en œuvre,
elle témoigne d’un niveau de préoccupation qui donne
plus de sens à l’ouvrage. Par ailleurs, les conquêtes pour
le contrôle économique, politique ou spirituel ont véhiculé
des solutions : techniques d’ossature bois ottomanes
jusqu’en Algérie, techniques romaines – puis romanes
avec les croisades – de petit appareil de pierre au ProcheOrient, techniques des arcs arabes jusqu’en Andalousie…
Importées, implantées, ces techniques sont assimilées par
les populations locales qui les reçoivent et à leur tour les
exploitent, les adaptent à leurs façons d’habiter. C’est
donc la culture qui prend ici le pas sur la géographie, et
qui fait par exemple du Portugal, atlantique, aussi un
pays du bassin méditerranéen. Tous ces apports, fondus
mais visibles, font un syncrétisme technique qui
redistribue les savoir-faire dans une Méditerranée
abondamment circulée. Si la forme de la construction
obéit à des schémas culturels (organisation du plan,
relations entre “nécessité, commodité et beauté”, selon
Vitruve) qui n’ont rien d’universel mais correspondent
aux règles et modèles produits par une communauté, la
construction de la maison procède d’un système
d’adaptation entre matériaux locaux – c’est la variable – et
techniques et savoir-faire communautaires de référence –
c’est la constante. Par exemple, couvrir, ou franchir par
voûtement plutôt que plancher n’est pas strictement
affaire de pénurie ou d’abondance de bois, de pierre ou de
brique, mais aussi d’habitude, de réflexe de constructeur
qui reproduit une solution prédéfinie.
Ainsi les multiples ressources physiques (pierre, terre,
sable, bois) inscrivent la variété d’aspects en une
succession de petits bassins constructifs très homogènes
que des frontières d’approvisionnement différencient très
nettement, alors même que les modèles produits par une
communauté recouvrent d’un voile de permanence des
régions entières. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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Place – memory – meaning: preserving intangible values in monuments and sites
La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Cela nous rappelle aussi que les dimensions immatérielles
sont bien plus puissantes dans l’architecture traditionnelle
que les dimensions matérielles, celles qu’une recette de
confection pourrait consigner. Le bâtisseur, qui est le
dépositaire de sa propre culture, la restitue où qu’il soit
sous forme d’une solution, d’une variante, d’une marge
d’interprétation d’un code non écrit. Cela nous rappelle
encore que la règle est implicite (et non explicite) et que sa
mise en oeuvre est sujette à toute adaptation locale
nécessaire. Autre lieu, autres ressources : c’est
précisément avec les petits décalages des moyens
disponibles que se constitue un vocabulaire en variante
des arts de bâtir, double mosaïque des ressemblances et
des différences.
Pour la première fois, la vision de l’édifice n’est plus
cantonnée à la seule campagne de transformation en
cours mais embrasse d’un même regard tout le passé des
campagnes précédentes, considéré comme une archive
vivante. L’enjeu est de réinjecter des savoirfaire qui
sachent servir ces empilements : ils sont tout autant
culturels que techniques
Nous sommes de ce point de vue devenus plus
scientifiques (quand le démon de l’identitaire, du pur, de
la souche originelle exempte de l’influence parasite… ne
nous fait pas trier et réinventer un pseudo âge d’or
comme une référence mythique, ni fabriquer le
patrimoine comme un instrument nationaliste). Mais nous
sommes aussi devenus plus romantiques, mettant la
valeur d’ancienneté au premier plan, gardiens du
patrimoine comme des antiquaires, aimant le mettre en
scène dans un scénario de reconstitution historique. Pas
facile, au sein de cette contradiction, de cette subjectivité
qui balance entre vérité et charme, entre histoire et patine
entretenue, d’être juste. Pas facile de faire la bonne
commande à un homme de l’art : doit-il être un
scientifique de la conservation/restauration ou un
homme de métier dépositaire des traditions techniques et
culturelles locales ? Comment maintenir un parc
immobilier dont les caractéristiques sont d’être ordinaire,
d’être parvenu jusqu’à nous par la permanence de son
usage, d’être anobli par son âge ?
Des compétences vivantes
L’architecture traditionnelle est édifiée, entretenue,
aujourd’hui réhabilitée par des hommes. La construction,
telle que dans la tradition historique, est devenue
confidentielle, si bien que la stratification des modèles et
procédés constructifs traditionnels sert essentiellement
désormais à maintenir et à adapter, parfois à restaurer.
Les questions de la compétence, de la capacité des
hommes de métier à s’inscrire dans une continuité
technique et culturelle posent évidemment la question de
leur formation. Aujourd’hui et partout, la formation à
l’intervention sur le bâti ancien est défaillante. D’une part
en termes quantitatifs : les pôles de formation spécialisée
sont très peu nombreux au regard de l’enjeu culturel et de
l’activité du marché. Mais aussi au plan qualitatif du fait
d’une tendance qui ramène l’architecture traditionnelle à
une somme de particularités techniques et non pas à la
fabrication d’une œuvre bâtie considérée comme un tout.
Si la formation maîtrise – efficacement d’ailleurs – les
techniques ancestrales, et autorise par conséquent à
réaliser de manière satisfaisante, elle n’agit que très peu
sur la globalité de l’acte de construire, sur le sens de l’acte
de restaurer, sur la qualité finale de l’œuvre achevée.
Faut-il s’en étonner ? La formation est un outil, elle est en
relation avec une commande. Elle n’a pas de mémoire,
elle répond à la dynamique du moment. Or, à ce jour, la
pression sociale n’a manifestement pas généré
l’émergence d’une série de lieux de formation qui
s’attacheraient à constituer une offre face à une demande
ciblée sur les particularités d’un bâti ancien à respecter en
tant que tel.
Il n’y a donc quasiment pas de filières de formation
professionnelle initiale qui conduisent à spécialiser des
constructeurs à agir sur le parc bâti ancien. Probablement
à cause de la surprise, de la nouveauté du sujet. C’est en
effet la première fois dans l’Histoire que la construction a
totalement renouvelé ses manières de faire, créant un
nouveau métier en lieu et place du précédent. De plus,
dans tous les États riverains à l’Ouest, il y a un siècle au
plus que la collectivité publique s’est substituée aux
corporations ou professions pour l’apprentissage. En effet,
dans le passé, c’est le milieu de la construction lui-même
qui adapte les transmissions de savoir-faire à ses effectifs,
qui fait au jour le jour le réglage entre compétence et
commande, avec la très grande souplesse des entreprises
par rapport à un système national de formation
professionnelle. Le marché s’étant orienté vers la
production de logements, massive et en techniques
modernes, depuis une cinquantaine d’années, le monde
des métiers a dû faire son adaptation, il n’a plus eu besoin
de nourrir les jeunes de leur tradition constructive locale,
il a laissé vieillir l’effectif des ouvriers formés à l’ancienne,
qui deviennent aujourd’hui seuls dépositaires du capital
d’une culture technique traditionnelle. Il reste encore
suffisamment de ces hommes pour qu’ici et là on sache
retrouver des gestes, matériaux, pratiques lorsqu’une
demande claire de ce type de compétence est exprimée.
Mais il est manifeste que l’âge de cette population devrait
alerter les autorités du monde éducatif comme de la
profession pour organiser la succession au moment où la
réhabilitation sera (est déjà, en Europe) le second marché
du bâtiment. Un marché qui doit fixer ses propres règles
de qualité. Le fait par exemple que les règles de l’art de la
construction traditionnelle soient peu ou pas du tout
matérialisées par l’écrit nous démontre combien est utile
un code de référence, capable de dire la bonne méthode et
pourquoi celle-là, de fixer le degré de qualité qui doit être
atteint, d’encadrer le contrôle de résultat. Cette fonction
existait en Afrique du Nord sous la forme d’un homme
représentant l’autorité professionnelle : el lamine. Et dans
un monde traditionnel qu’à l’avenir les normes
n’encadreront probablement pas davantage, nos sociétés
doivent trouver l’équivalent, le successeur de ce sachant,
double garant de l’ambition et du résultat. L’enjeu est que
le bâti traditionnel, qui a conquis un rang patrimonial –
intérêt, savoirs, respect ou parfois protection –, sache se
doter d’un corpus d’évaluation de la qualité qui procède
davantage d’un consensus socioprofessionnel, beaucoup
plus efficace, que de règlements. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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Place – memory – meaning: preserving intangible values in monuments and sites
La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Marginalisés, retraités âgés ou simplement rares, les
hommes de métier héritiers de nos arts de bâtir sont
quelquefois les “hasards survivants” d’une tradition qui
ne se régénère plus naturellement. Ces compétences,
fragiles parce que peu représentées, certains pays
cherchent à les capter, les intégrer et les entretenir au sein
de leurs services de restauration des monuments (Grèce,
Chypre, Tunisie et Maroc), préférant ce dispositif au
recours aux entreprises privées qui est depuis longtemps
la stratégie en Europe. Ces systèmes de pré carré sont
efficaces pour le patrimoine exceptionnel mais ne se
diffusent pas dans le secteur de la réhabilitation non
protégée.
De la même manière, il est intéressant de considérer à
quels acteurs profitent en majorité des formations
supérieures qui traitent du patrimoine architectural. On
en trouve de nombreuses dans les disciplines de l’histoire
de l’art, dans le génie civil, dans les services aux
collectivités (urbanisme, protection ou développement du
patrimoine) …, généralement pour des options de
spécialités, mais à destination de concepteurs, de
chercheurs ou de gestionnaires. Pour ainsi dire pas de
formations à destination du monde ouvrier, ou de celui
qui agit aussi avec ses mains (sauf pour les restaurateurs
d’œuvres d’art, population confidentielle et de haut
niveau scientifique). Ce qui équivaut à constater que les
États – c’est-à-dire les entités en charge de l’éducation, du
primaire au supérieur – privilégient la diffusion d’un
savoir organisé relatif au patrimoine pour leurs élites de
décideurs, mais qu’ils n’ont pas à ce jour intégré la
nécessité de s’adresser au monde des métiers, pourtant le
gros des troupes du parc ancien.
Ceci pour dresser la tendance des dispositifs académiques
nationaux. Depuis une à deux décennies, et surtout en
Europe du Sud qui a pu en dégager les moyens de
financement, c’est le très riche foisonnement de la
formation continue qui pallie l’immobilité des dispositifs
étatiques, en développant une offre toujours plus large de
formations de perfectionnement ou de spécialisation aux
métiers du patrimoine. La formation “tout au long de la
vie” est par nature un outil souple, à l’écoute du milieu de
l’entreprise, de son ajustement permanent à l’orientation
du marché, qui invente au jour le jour de nouvelles
formules d’apprentissage et d’accompagnement des
professionnels. Rapide et créatif, innovant et mobile, le
monde de la formation continue est sans nul doute la
chance de coller au terrain des évolutions quotidiennes.
En s’adressant aux professionnels actifs, il sait travailler
simultanément auprès des acteurs de la commande, de la
conception et de l’exécution, et par conséquent boucler de
façon cohérente toute une filière depuis la prescription
jusqu’à l’échafaudage. C’est une première esquisse d’une
approche globale des besoins en formation des acteurs.
Un maçon pour la Méditerranée
Toutes les diversités que cet article souligne sont celles de
la production des hommes. Si une certaine société pré-
industrielle de la manière de fabriquer les bâtiments a
définitivement disparu, le parc bâti demeure et il est notre
objet.
Aujourd’hui, quel homme de métier est amené à
intervenir sur ce parc, que doit-il savoir faire, est-ce si
différent – si l’on raisonne en termes de compétence –
dans les quatre azimuts du Bassin ? En ouvrant cette
question dans quinze pays riverains, nous arrivions à une
position régionale commune exposée ci-après. Les
enquêtes sur le terrain ont fait apparaître une situation
résumée en trois points. Le projet CORPUS proposait d’y
réagir par trois orientations et une conclusion.
Premier constat : les frontières des métiers traditionnels du
bâtiment – en déshérence – caractérisent beaucoup de
petites spécialités séparées. C’est une tendance ; elle a
surtout sa réalité lorsqu’une très forte technicité est
requise. Parallèlement, on observe que si des techniques
simples constituent la pratique locale, le même individu
en maîtrise de nombreuses et devient le constructeur
quasi unique de la maison.
Première réponse : pour l’exercice de la réhabilitation, il est
pertinent non pas de reconstituer les micro-spécialités
étroites mais plutôt de s’orienter vers un profil élargi qui
embrasse un maximum de capacités détenues par un seul
professionnel. Ceci afin de répondre à la demande
multiforme du marché : depuis les interventions
réparatrices de petite échelle jusqu’à la réfection
d’ouvrages mobilisant une vaste gamme de techniques et
matériaux.
Deuxièmement : la construction contemporaine ne fait
presque plus appel au bagage des techniques
traditionnelles pour édifier. L’effet est de ne plus
transmettre naturellement les savoir-faire ancestraux au
corps professionnel dans son ensemble. Pour autant, des
poches subsistent où la modernité n’a pas infiltré ni
substitué ses pratiques. On peut ainsi répondre qu’il n’y a
pas de crise définitive de la compétence. Dans chaque
bassin d’emploi, on peut trouver le ou les hommes de
métier porteurs d’un savoir-faire traditionnel. Rares ou
âgés, sûrement ; mais disparus, non. Ils sont identifiables
et mobilisables dans un réseau de transmission pour
autant que l’on s’y intéresse rapidement.
Troisième constat : l’intervention sur le parc ancien ne fait
pas appel à de nouveaux professionnels spécialisés sur le
patrimoine mais au corps professionnel généraliste
présent sur le marché. Il nous faut donc évaluer si ce
corps est susceptible, sur base de ses compétences
actuelles, de se réapproprier les savoir-faire nécessaires à
l’entretien et à l’adaptation d’un habitat de nature
technique traditionnelle.
Troisième réponse : la greffe d’une technique ou de l’emploi
d’un matériau oubliés sur un homme de métier est aisée.
Elle s’obtient par la formation de perfectionnement
(courte, très spécialisée, pratique). En effet un
professionnel actif maîtrise des gestes, un rythme, une
série d’acquis comportementaux sur chantier ; il n’est
nullement troublé par l’introduction d’une nouvelle
manière de faire : parce qu’elle est pratique et que
l’acquisition lui en est naturelle. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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Place – memory – meaning: preserving intangible values in monuments and sites
La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Gilles NOURISSIER*, France
Alors que l’intervention sur le patrimoine bâti ordinaire est une
discipline du concret, la matérialité de cette intervention – sa
description, sa commande à des hommes de l’art – procède d’une
clarification de la composante immatérielle de ce qui caractérise
l’objet : un milieu avec ses factures, variantes, saveurs locales.
L’espace d’un patrimoine, support matériel à des
pratiques immatérielles
Vivant au sud de l’Europe, mobilisé par la puissante
vérité de l’habitat ordinaire, j’ai travaillé à comprendre ce
qui fonde notre réalité locale, ce qui la caractérise en
propre, et ce qui la renvoie à un plus vaste ensemble : la
Méditerranée. Avec cette idée que c’est ce qui la distingue
qui la définit le mieux, et qu’en tenant cette définition, on
pourra efficacement respecter (maintenir, entretenir,
réhabiliter, transmettre) ce patrimoine. On pourrait
penser que, du fait d’une dimension utilitaire, l’habitat ne
ressortirait qu’au monde matériel ; il n’en est rien, une
part de mystère ou de miracle de réussite lui est attachée,
autrement dit une part d’insaisissable. Et c’est bien l’écart
entre l’objectif et le réel qui nous intéresse ici, entre ce que
l’on peut dire de l’ouvrage (ou de l’œuvre) et ce que l’on
peut en percevoir. C’est-à-dire réussir à capturer ce que
cet ouvrage, cette œuvre, leur milieu nous font savoir.
Par le mot Méditerranée nous désignons moins une mer
que l’espace composé par les territoires qu’elle baigne.
L’intérêt et la passion qu’éveille la région ont porté son
nom au rang de concept. Quand on parle de
Méditerranée, c’est devenu un réflexe de convoquer – par
ce seul mot clé – l’ensemble des qualités d’un espace et
non plus l’espace lui-même. Qualités qui définissent une
idée, un style, un univers : vaste assortiment, nourri par
nos propres perceptions de ce bassin méditerranéen. La
Méditerranée est un espace complexe, mythique,
insaisissable si on le dissocie, et c’est une réalité constituée
de matérialité, mais aussi d’une immatérialité porteuse de
sens. Son architecture traditionnelle est enracinée dans ce
cadre. Ainsi, si l’on ne veut pas faire l’erreur de la dé-
contextualiser, en regardant le patrimoine bâti comme
une série d’objets inanimés, aculturels, voire atemporels,
en pierre, brique ou bois, il faut associer le poids de
l’immatériel avec celui du physique. Et ce d’autant plus
que l’on parle d’un patrimoine “sans papiers”, méconnu
et à peine reconnu, qui n’a bénéficié que de petits moyens
et depuis trop peu de temps. Évoquer l’architecture
méditerranéenne locale sans la resituer dans son bassin
d’influence nous paraîtrait impertinent, le lien de
civilisation nous semblant plus fondateur et intéressant
que la stricte distinction de nos spécificités microlocales.
Que se passe-t-il donc dans notre voisinage culturel, dans
l’espace méditerranéen évident ? La présence de l’olivier
en dirait les frontières climatique et physique, “saturée de
méditerranéité”.
On vient de dire olivier, climat physique, qui sont des
éléments matériels de traçage du périmètre ; mais on a dit
aussi voisinage culturel pour signifier le monde des
pratiques, modes de vie, compétences… qui bien que
tangibles ressortissent au domaine spirituel, et il nous faut
convoquer les deux modes pour tenter de répondre à cette
question : quelle est la teneur de cette civilisation, quels en
sont les descripteurs ? Continuons avec une référence au
sensible et aux sens. D’autres espèces auréolent d’un
parfum intense, plus immatériel, notre environnement :
thym, romarin, lavande, basilic, cumin, fenouil, menthe,
jasmin, rosier, figuier, oranger, abricotier, olivier en fleur,
ou l’arôme pénétrant des olives au pressoir ; elles
fabriquent une dimension particulière et réelle dans
l’espace méditerranéen et renforcent le plaisir d’y vivre.
D’autres formes d’exubérance vitale, marquées par un
dualisme omniprésent : terre et mer, soleil et ombre,
extérieur et intérieur, sécheresse et inondation. Telle
l’olive, douce comme le miel, amère comme le fiel.
Ces quelques traits réussissent à dire un morceau d’un
milieu. Il faudrait y ajouter autant d’ambivalences entre
matériel et immatériel pour évoquer des savoir vivre. Par
exemple, le patio, la cour ou le jardin, c’est désigner trois
expressions, avec leurs nuances formelles et locales, d’un
fait méditerranéen par excellence : la vie en plein air
autant que sous toit, l’architecture de terre, de pierre ou
de bois autant que de lumière, d’ombre ou de parfums. Le
dedans et le dehors. Sûrement aussi, le féminin et le
masculin, car si la maison est surtout l’espace de la
femme, la rue est surtout l’espace de l’homme. Une rue,
ordonnant le bâti et en même temps résultat de l’action
constructive, est toujours un grand espace de convivialité
et de relations autant que de circulation. Dans certaines
régions, elle devient une continuité plastique de la maison
et il est fréquent que cet espace rapproché accueille des
activités aussi bien artisanales ou commerciales que
strictement sociales. La maison, en Méditerranée, déverse
souvent sur l’extérieur.
On pourrait ajouter la description typologique de ces trois
modèles de maison. Tenons-nous en ici plutôt à l’esprit du
lieu que chaque formule génère, de façon à réévaluer
l’immatériel de ces modèles.
Le patio désignerait à la fois le centre et le cœur du
logement et de la vie familiale. Mot sans synonyme.
Échelle humaine devenue espace irremplaçable, généré
par le bâti que lui seul rend possible. Espace à habiter.
Puits de vie. Espace actif, recueilli et intime. Dedans et
dehors. Sol et ciel devenus lieu, proportion, architecture. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Ce patio peut se présenter de façon plus ou moins simple :
sans arcades au rez-de-chaussée, les murs et portiques
élémentaires délimitant alors cet espace central, ou avec
des arcades sur un, deux, trois ou quatre côtés. Lorsque
l’arcature est présente, la richesse des espaces augmente
avec la création d’une transition entre le dedans et le
patio. La qualité, la densité et l’exubérance vitales y sont
telles que la maison n’a à coup sûr plus besoin que d’une
entrée sur la façade. Tout est condensé et tourné sur ce
point central de la maison.
La cour est un espace plus ou moins généré par le bâti,
plus ou moins tracé par la clôture. Dans les deux cas, les
activités productives conditionnent l’échelle. Ainsi le
troupeau, les produits, modes de production ou engins
agricoles seront au moins aussi importants que l’échelle
humaine pour sa définition. Espace moins dense que le
patio, allégée par la présence animale, agricole et
productive, plus souvent limitée par des murs que par des
bâtiments, la cour est plutôt l’extérieur confiné.
Dans le jardin l’espace n’est plus confiné par le bâti. Jardin
et maison sont juxtaposés, s’additionnent. Tous deux
couplés constituant une autre variante pour créer et
habiter l’unité duale, intérieur/extérieur. La culture,
surtout les croyances religieuses détermineront un jardin
plus ou moins intime, réservé et à l’abri, ou perméable au
regard étranger. Accolé en général à une façade de la
maison, le jardin est assez grand, car il représente une
importante surface de culture domestique. Des plantes de
toutes sortes et en toutes saisons sont cultivées, sous une
grande variété d’arbres fruitiers où ne manquent presque
jamais les agrumes. Il est à la fois aussi un espace de
plaisir, les fleurs aux belles couleurs et aux délicats
parfums y étant toujours généreusement représentées.
Cette typologie, constituée d’un intérieur et d’un extérieur
soudés, contribue à façonner des paysages urbains
absolument particuliers, avec une importante densité de
verdure et un allègement notoire de la densité du bâti.
Voilà donc des descripteurs qui cherchent à dire des
manières de vivre et à éviter de geler une image par des
stéréotypes tels : la maison arabe, la maison rurale
européenne, la maison turque.
Sur chaque solution architecturale, on peut s’exercer à
repérer ce qui en elle est unique, exceptionnelle, et ce qui
en elle emprunte à un modèle et qui est donc
reproductible. Avec une première idée en matière de
savoir-faire des métiers : ce qui est matériel est
reproductible, ce qui est immatériel est insaisissable, au
moins avec les outils de l’apprentissage. En précisant tout
de suite :
– que le matériel appartient au monde de la technique,
l’immatériel à celui de la culture,
– que le premier est maîtrisable par la transmission des
savoir-faire, lorsque le second ne s’acquiert que par
frottement,
– que le matériel ne sait pas à lui seul reconstituer le fait
patrimonial, mais que l’immatériel ne peut, pour
exister, que s’incarner dans le tangible (bâti,
matériaux, métiers, corpus de traditions…).
Qu’il soit dégradé, obsolète ou remployé, dénaturé,
l’objet bâti parvenu jusqu’à nous (habitat, quartier) est
devenu autre chose qu’à son origine. Son âge et son
histoire lui ont donné un sens patrimonial, et le projet
contemporain est de les donner à voir.
Jusqu’ici, nous n’avons parlé que de l’espace, son style et
ses formes. L’immatériel c’est aussi le temps.
Le temps qui donne du sens. Une maison, un quartier
anciens, si leur usage contemporain demeure, sont des
objets courants de l’architecture et de l’urbanisme ; mais
ils sont aussi gisement de données historiques, possédant
par conséquent une dimension supérieure à l’usage, une
dimension extra-fonctionnelle. La dimension de l’histoire
– notamment celle de l’évolution du statut de l’objet dans
le temps – nous les transforme en un objet d’antiquité.
Ainsi, c’est le facteur temps qui apporte ici la dimension
immatérielle ; le même objet, cantonné à son usage
contemporain est matériel, mais, projeté dans l’histoire de
ses usages antérieurs, est augmenté d’une épaisseur,
d’une densité qui ne s’apprécient plus avec les mêmes
mesures. C’est la dimension de la mémoire, connue, mais
incommensurable.
Le temps qui donne de la valeur. En plus du sens, le temps
est un processus de constitution de l’intérêt et de la
beauté, il apporte de la valeur, il bonifie la chose. Ce qui
n’est pas systématique : la chose ordinaire peut rester
banale toute sa vie et ne jamais rien acquérir par son âge,
comme elle peut devenir témoin, échantillon destiné à
donner à voir, spécimen, prototype d’une expression de la
beauté. C’est souvent la rareté, la survivance combinée à
la conscience que cet objet ne serait plus produit selon le
même processus, qui l’investit d’un rôle d’incarnation.
Les musées des arts et traditions populaires sont pleins de
ces objets mobiliers. Dans le domaine de l’immobilier,
dans le vaste musée ouvert des villages et centres anciens
des villes, c’est le traitement de l’immeuble, porteur d’une
facture, d’une saveur, d’un tour de main – bref d’un geste
qui parle, qui est particulier et nous retient encore – qui
devient spécifique, qui dit une vérité et se voit accéder au
rang de “bien culturel”. Culturel mais volatile, car ancré à
l’objet, c’est-à-dire à la matière, et la matière est
dégradable, transformable, destructible : éminemment
instable.
Néanmoins, entretenir, conserver ou réhabiliter le parc
immobilier, tout comme sa mémoire, passe par l’action
matérielle sur le bâti par des hommes de métier.
Deux mots-clefs : local et ancestral. Les arts de bâtir
comprennent les matériaux, les techniques, les savoirfaire. C’est-à-dire à la fois la construction et la compétence
du constructeur. Nous sommes dans le champ de
l’habitat, du bâti domestique, construit avec des
matériaux locaux, extraits, produits et transformés le plus
souvent à proximité du site de construction. Nous
sommes aussi dans un monde d’architecture sans
architectes, où la quasi-totalité du parc est une
architecture d’homme de métiers, qui ne sont pas des
savants mais des constructeurs, des ajusteurs de modèle. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Dans une communauté pré-moderne, antérieurement à
l’introduction du train ou du camion, les matériaux
pondéreux de la construction ne circulent pas, sauf à des
coûts prohibitifs et donc hors champ de l’architecture
traditionnelle. Cette contrainte du déplacement minimum
a conduit les bâtisseurs à s’adapter aux matériaux
disponibles, dans un bassin limité par la portée
d’efficacité de la charrette tirée par un animal, quelle que
soit leur qualité et leurs performances. Il en résulte
l’équation suivante : un matériau imparfait, parfois subi,
parfois choisi, qui doit conduire malgré tout à construire
un bon ouvrage, oblige généralement le constructeur à
plus d’ingéniosité dans la technologie de mise en œuvre.
Un défaut est ainsi compensé par une valeur ajoutée.
Les techniques sont ancestrales et leur évolution est lente
tant que de nouveaux matériaux ou de nouvelles
influences n’interviennent pas, ou encore tant que la
communauté ne les a pas acceptés et assimilés. Elles sont
caractérisées par des systèmes simples de mise en œuvre
et la préoccupation constante de l’économie et de
l’efficacité. Les savoir-faire sont transmis par
l’apprentissage et la pratique. Le plus souvent, aucun écrit
ne les consigne, seule la permanence de leur usage assure
leur transmission naturelle entre les générations.
Un langage, une ambition, un vivier de techniques
qui voyagent
La construction imprime de façon indissociable son image
à l’habitat. Pour s’en convaincre, il suffirait d’imaginer cet
habitat exécuté avec d’autres matériaux, d’autres
techniques et d’autres tours de main de finition : le
résultat n’aurait rien à voir. Ce qui nous prouve que les
arts de bâtir ne sont pas neutres, qu’ils sont un des
déterminants de la substance même de l’architecture
traditionnelle, traditionnelle, qu’ils sont l’un des vecteurs
pour l’exprimer. Pourtant le choix de la solution s’inscrit
dans une convention locale de formes architecturales. Ce
qui positionne les arts de bâtir davantage comme un outil
au service du projet que comme un langage à part entière
qui déterminerait l’architecture. L’architecture
traditionnelle ne recherche pas l’innovation technique et
s’accommode des contraintes courantes des matériaux
locaux et bon marché. Ceci ne vaut pas pour l’architecture
monumentale qui – pour réussir à faire plus grand, plus
haut, plus large – recherche la performance technologique
comme un moyen de renouveler les formes en
s’affranchissant des contraintes et en parvenant à des
solutions exceptionnelles. L’habitat ordinaire réemploie
par la suite ces solutions à son échelle.
Si habitat populaire coïncide avec moyens modestes,
modicité ne signifie nullement indigence. En substitution
des matériaux trop chers pour qu’il les emploie, le
constructeur compense, imite, cherche et produit un
équivalent. Ainsi, lorsque la fourniture n’est pas à sa
portée, il invente, il cumule plus de valeur ajoutée pour
que son moellon ou sa brique perde de sa banale
matérialité et accède au rang d’un matériau plus noble,
mieux mis en scène. Pas d’argent pour du marbre ? Un
stuc poli le remplacera ; le savoir-faire du maçon trouvera
comment doser, dresser et faire briller cette pâte pour
qu’elle éclate et émerveille autant que ce marbre
inaccessible.
Il n’y a pas là uniquement de la main d’œuvre intelligente
ou de la performance, il y a la volonté d’avoir reconstitué
chez soi un morceau du palais. Cette dimension de la
représentation sociale est davantage courante en Europe,
qui, par le jeu des effets de composition et finition, a
conduit le maçon à inventer des façons de faire qu’il
n’aurait pas mises au point s’il avait disposé de moyens
plus confortables. Il arrive par exemple de rencontrer un
support très fruste (mur, cloison), fait des matériaux les
plus pauvres et montés sans soin particulier, recouvert en
finition d’un magnifique enduit parfaitement exécuté et
agrémenté d’un faux appareil régulier de pierre, gravé,
modelé ou peint. Ce type d’écart entre des moyens très
modestes et un résultat sophistiqué, élégant, nous
renseigne sur l’intention du constructeur qui utilise tous
les artifices à sa disposition pour faire mieux que son
budget, pour produire le maximum de dignité possible
malgré des moyens pauvres. L’intéressant ici, c’est
comment du strict fonctionnel, la construction se hisse à
l’échelon de l’architecture cultivée et savante, comment
l’homme de métier en est l’acteur unique avec le seul
moyen de ses arts de bâtir.
Ainsi, la trilogie matériaux + technique + savoir-faire,
produit bien davantage qu’un ouvrage ordinaire et peut
apporter une valeur immatérielle au travail de l’artisan.
Cette valeur est inscrite dans la chair du bâti en œuvre,
elle témoigne d’un niveau de préoccupation qui donne
plus de sens à l’ouvrage. Par ailleurs, les conquêtes pour
le contrôle économique, politique ou spirituel ont véhiculé
des solutions : techniques d’ossature bois ottomanes
jusqu’en Algérie, techniques romaines – puis romanes
avec les croisades – de petit appareil de pierre au ProcheOrient, techniques des arcs arabes jusqu’en Andalousie…
Importées, implantées, ces techniques sont assimilées par
les populations locales qui les reçoivent et à leur tour les
exploitent, les adaptent à leurs façons d’habiter. C’est
donc la culture qui prend ici le pas sur la géographie, et
qui fait par exemple du Portugal, atlantique, aussi un
pays du bassin méditerranéen. Tous ces apports, fondus
mais visibles, font un syncrétisme technique qui
redistribue les savoir-faire dans une Méditerranée
abondamment circulée. Si la forme de la construction
obéit à des schémas culturels (organisation du plan,
relations entre “nécessité, commodité et beauté”, selon
Vitruve) qui n’ont rien d’universel mais correspondent
aux règles et modèles produits par une communauté, la
construction de la maison procède d’un système
d’adaptation entre matériaux locaux – c’est la variable – et
techniques et savoir-faire communautaires de référence –
c’est la constante. Par exemple, couvrir, ou franchir par
voûtement plutôt que plancher n’est pas strictement
affaire de pénurie ou d’abondance de bois, de pierre ou de
brique, mais aussi d’habitude, de réflexe de constructeur
qui reproduit une solution prédéfinie.
Ainsi les multiples ressources physiques (pierre, terre,
sable, bois) inscrivent la variété d’aspects en une
succession de petits bassins constructifs très homogènes
que des frontières d’approvisionnement différencient très
nettement, alors même que les modèles produits par une
communauté recouvrent d’un voile de permanence des
régions entières. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
Cela nous rappelle aussi que les dimensions immatérielles
sont bien plus puissantes dans l’architecture traditionnelle
que les dimensions matérielles, celles qu’une recette de
confection pourrait consigner. Le bâtisseur, qui est le
dépositaire de sa propre culture, la restitue où qu’il soit
sous forme d’une solution, d’une variante, d’une marge
d’interprétation d’un code non écrit. Cela nous rappelle
encore que la règle est implicite (et non explicite) et que sa
mise en oeuvre est sujette à toute adaptation locale
nécessaire. Autre lieu, autres ressources : c’est
précisément avec les petits décalages des moyens
disponibles que se constitue un vocabulaire en variante
des arts de bâtir, double mosaïque des ressemblances et
des différences.
Pour la première fois, la vision de l’édifice n’est plus
cantonnée à la seule campagne de transformation en
cours mais embrasse d’un même regard tout le passé des
campagnes précédentes, considéré comme une archive
vivante. L’enjeu est de réinjecter des savoirfaire qui
sachent servir ces empilements : ils sont tout autant
culturels que techniques
Nous sommes de ce point de vue devenus plus
scientifiques (quand le démon de l’identitaire, du pur, de
la souche originelle exempte de l’influence parasite… ne
nous fait pas trier et réinventer un pseudo âge d’or
comme une référence mythique, ni fabriquer le
patrimoine comme un instrument nationaliste). Mais nous
sommes aussi devenus plus romantiques, mettant la
valeur d’ancienneté au premier plan, gardiens du
patrimoine comme des antiquaires, aimant le mettre en
scène dans un scénario de reconstitution historique. Pas
facile, au sein de cette contradiction, de cette subjectivité
qui balance entre vérité et charme, entre histoire et patine
entretenue, d’être juste. Pas facile de faire la bonne
commande à un homme de l’art : doit-il être un
scientifique de la conservation/restauration ou un
homme de métier dépositaire des traditions techniques et
culturelles locales ? Comment maintenir un parc
immobilier dont les caractéristiques sont d’être ordinaire,
d’être parvenu jusqu’à nous par la permanence de son
usage, d’être anobli par son âge ?
Des compétences vivantes
L’architecture traditionnelle est édifiée, entretenue,
aujourd’hui réhabilitée par des hommes. La construction,
telle que dans la tradition historique, est devenue
confidentielle, si bien que la stratification des modèles et
procédés constructifs traditionnels sert essentiellement
désormais à maintenir et à adapter, parfois à restaurer.
Les questions de la compétence, de la capacité des
hommes de métier à s’inscrire dans une continuité
technique et culturelle posent évidemment la question de
leur formation. Aujourd’hui et partout, la formation à
l’intervention sur le bâti ancien est défaillante. D’une part
en termes quantitatifs : les pôles de formation spécialisée
sont très peu nombreux au regard de l’enjeu culturel et de
l’activité du marché. Mais aussi au plan qualitatif du fait
d’une tendance qui ramène l’architecture traditionnelle à
une somme de particularités techniques et non pas à la
fabrication d’une œuvre bâtie considérée comme un tout.
Si la formation maîtrise – efficacement d’ailleurs – les
techniques ancestrales, et autorise par conséquent à
réaliser de manière satisfaisante, elle n’agit que très peu
sur la globalité de l’acte de construire, sur le sens de l’acte
de restaurer, sur la qualité finale de l’œuvre achevée.
Faut-il s’en étonner ? La formation est un outil, elle est en
relation avec une commande. Elle n’a pas de mémoire,
elle répond à la dynamique du moment. Or, à ce jour, la
pression sociale n’a manifestement pas généré
l’émergence d’une série de lieux de formation qui
s’attacheraient à constituer une offre face à une demande
ciblée sur les particularités d’un bâti ancien à respecter en
tant que tel.
Il n’y a donc quasiment pas de filières de formation
professionnelle initiale qui conduisent à spécialiser des
constructeurs à agir sur le parc bâti ancien. Probablement
à cause de la surprise, de la nouveauté du sujet. C’est en
effet la première fois dans l’Histoire que la construction a
totalement renouvelé ses manières de faire, créant un
nouveau métier en lieu et place du précédent. De plus,
dans tous les États riverains à l’Ouest, il y a un siècle au
plus que la collectivité publique s’est substituée aux
corporations ou professions pour l’apprentissage. En effet,
dans le passé, c’est le milieu de la construction lui-même
qui adapte les transmissions de savoir-faire à ses effectifs,
qui fait au jour le jour le réglage entre compétence et
commande, avec la très grande souplesse des entreprises
par rapport à un système national de formation
professionnelle. Le marché s’étant orienté vers la
production de logements, massive et en techniques
modernes, depuis une cinquantaine d’années, le monde
des métiers a dû faire son adaptation, il n’a plus eu besoin
de nourrir les jeunes de leur tradition constructive locale,
il a laissé vieillir l’effectif des ouvriers formés à l’ancienne,
qui deviennent aujourd’hui seuls dépositaires du capital
d’une culture technique traditionnelle. Il reste encore
suffisamment de ces hommes pour qu’ici et là on sache
retrouver des gestes, matériaux, pratiques lorsqu’une
demande claire de ce type de compétence est exprimée.
Mais il est manifeste que l’âge de cette population devrait
alerter les autorités du monde éducatif comme de la
profession pour organiser la succession au moment où la
réhabilitation sera (est déjà, en Europe) le second marché
du bâtiment. Un marché qui doit fixer ses propres règles
de qualité. Le fait par exemple que les règles de l’art de la
construction traditionnelle soient peu ou pas du tout
matérialisées par l’écrit nous démontre combien est utile
un code de référence, capable de dire la bonne méthode et
pourquoi celle-là, de fixer le degré de qualité qui doit être
atteint, d’encadrer le contrôle de résultat. Cette fonction
existait en Afrique du Nord sous la forme d’un homme
représentant l’autorité professionnelle : el lamine. Et dans
un monde traditionnel qu’à l’avenir les normes
n’encadreront probablement pas davantage, nos sociétés
doivent trouver l’équivalent, le successeur de ce sachant,
double garant de l’ambition et du résultat. L’enjeu est que
le bâti traditionnel, qui a conquis un rang patrimonial –
intérêt, savoirs, respect ou parfois protection –, sache se
doter d’un corpus d’évaluation de la qualité qui procède
davantage d’un consensus socioprofessionnel, beaucoup
plus efficace, que de règlements. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
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Marginalisés, retraités âgés ou simplement rares, les
hommes de métier héritiers de nos arts de bâtir sont
quelquefois les “hasards survivants” d’une tradition qui
ne se régénère plus naturellement. Ces compétences,
fragiles parce que peu représentées, certains pays
cherchent à les capter, les intégrer et les entretenir au sein
de leurs services de restauration des monuments (Grèce,
Chypre, Tunisie et Maroc), préférant ce dispositif au
recours aux entreprises privées qui est depuis longtemps
la stratégie en Europe. Ces systèmes de pré carré sont
efficaces pour le patrimoine exceptionnel mais ne se
diffusent pas dans le secteur de la réhabilitation non
protégée.
De la même manière, il est intéressant de considérer à
quels acteurs profitent en majorité des formations
supérieures qui traitent du patrimoine architectural. On
en trouve de nombreuses dans les disciplines de l’histoire
de l’art, dans le génie civil, dans les services aux
collectivités (urbanisme, protection ou développement du
patrimoine) …, généralement pour des options de
spécialités, mais à destination de concepteurs, de
chercheurs ou de gestionnaires. Pour ainsi dire pas de
formations à destination du monde ouvrier, ou de celui
qui agit aussi avec ses mains (sauf pour les restaurateurs
d’œuvres d’art, population confidentielle et de haut
niveau scientifique). Ce qui équivaut à constater que les
États – c’est-à-dire les entités en charge de l’éducation, du
primaire au supérieur – privilégient la diffusion d’un
savoir organisé relatif au patrimoine pour leurs élites de
décideurs, mais qu’ils n’ont pas à ce jour intégré la
nécessité de s’adresser au monde des métiers, pourtant le
gros des troupes du parc ancien.
Ceci pour dresser la tendance des dispositifs académiques
nationaux. Depuis une à deux décennies, et surtout en
Europe du Sud qui a pu en dégager les moyens de
financement, c’est le très riche foisonnement de la
formation continue qui pallie l’immobilité des dispositifs
étatiques, en développant une offre toujours plus large de
formations de perfectionnement ou de spécialisation aux
métiers du patrimoine. La formation “tout au long de la
vie” est par nature un outil souple, à l’écoute du milieu de
l’entreprise, de son ajustement permanent à l’orientation
du marché, qui invente au jour le jour de nouvelles
formules d’apprentissage et d’accompagnement des
professionnels. Rapide et créatif, innovant et mobile, le
monde de la formation continue est sans nul doute la
chance de coller au terrain des évolutions quotidiennes.
En s’adressant aux professionnels actifs, il sait travailler
simultanément auprès des acteurs de la commande, de la
conception et de l’exécution, et par conséquent boucler de
façon cohérente toute une filière depuis la prescription
jusqu’à l’échafaudage. C’est une première esquisse d’une
approche globale des besoins en formation des acteurs.
Un maçon pour la Méditerranée
Toutes les diversités que cet article souligne sont celles de
la production des hommes. Si une certaine société pré-
industrielle de la manière de fabriquer les bâtiments a
définitivement disparu, le parc bâti demeure et il est notre
objet.
Aujourd’hui, quel homme de métier est amené à
intervenir sur ce parc, que doit-il savoir faire, est-ce si
différent – si l’on raisonne en termes de compétence –
dans les quatre azimuts du Bassin ? En ouvrant cette
question dans quinze pays riverains, nous arrivions à une
position régionale commune exposée ci-après. Les
enquêtes sur le terrain ont fait apparaître une situation
résumée en trois points. Le projet CORPUS proposait d’y
réagir par trois orientations et une conclusion.
Premier constat : les frontières des métiers traditionnels du
bâtiment – en déshérence – caractérisent beaucoup de
petites spécialités séparées. C’est une tendance ; elle a
surtout sa réalité lorsqu’une très forte technicité est
requise. Parallèlement, on observe que si des techniques
simples constituent la pratique locale, le même individu
en maîtrise de nombreuses et devient le constructeur
quasi unique de la maison.
Première réponse : pour l’exercice de la réhabilitation, il est
pertinent non pas de reconstituer les micro-spécialités
étroites mais plutôt de s’orienter vers un profil élargi qui
embrasse un maximum de capacités détenues par un seul
professionnel. Ceci afin de répondre à la demande
multiforme du marché : depuis les interventions
réparatrices de petite échelle jusqu’à la réfection
d’ouvrages mobilisant une vaste gamme de techniques et
matériaux.
Deuxièmement : la construction contemporaine ne fait
presque plus appel au bagage des techniques
traditionnelles pour édifier. L’effet est de ne plus
transmettre naturellement les savoir-faire ancestraux au
corps professionnel dans son ensemble. Pour autant, des
poches subsistent où la modernité n’a pas infiltré ni
substitué ses pratiques. On peut ainsi répondre qu’il n’y a
pas de crise définitive de la compétence. Dans chaque
bassin d’emploi, on peut trouver le ou les hommes de
métier porteurs d’un savoir-faire traditionnel. Rares ou
âgés, sûrement ; mais disparus, non. Ils sont identifiables
et mobilisables dans un réseau de transmission pour
autant que l’on s’y intéresse rapidement.
Troisième constat : l’intervention sur le parc ancien ne fait
pas appel à de nouveaux professionnels spécialisés sur le
patrimoine mais au corps professionnel généraliste
présent sur le marché. Il nous faut donc évaluer si ce
corps est susceptible, sur base de ses compétences
actuelles, de se réapproprier les savoir-faire nécessaires à
l’entretien et à l’adaptation d’un habitat de nature
technique traditionnelle.
Troisième réponse : la greffe d’une technique ou de l’emploi
d’un matériau oubliés sur un homme de métier est aisée.
Elle s’obtient par la formation de perfectionnement
(courte, très spécialisée, pratique). En effet un
professionnel actif maîtrise des gestes, un rythme, une
série d’acquis comportementaux sur chantier ; il n’est
nullement troublé par l’introduction d’une nouvelle
manière de faire : parce qu’elle est pratique et que
l’acquisition lui en est naturelle. Sub-theme B: Impact of change and diverse perceptions
Sous-thème B : Impact du changement et perceptions diverses
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Place – memory – meaning: preserving intangible values in monuments and sites
La mémoire des lieux – préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites
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Re: QUEL SAVOIR-FAIRE POUR ENTRETENIR UN PATRIMOINE ?
Merci bien M"famous" pour bon courage
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